Les Nouvelles Calédoniennes

Le premier meurtre lié aux affrontements de Saint-Louis va être jugé à Nouméa, à partir de ce matin. Six ans après les faits, la cour d’assises a trois jours pour dire si le Wallisien Laurent Vili a tué Jean-Marie Goyetta, le 8 janvier 2002. Des souvenirs douloureux pèseront sur le procès. Ils le font déjà : d’un côté, on dénonce l’abandon des Wallisiens par l’État lors des combats, de l’autre, on craint un jugement partial, parce que trop « politique ».

Tout s’est accéléré, en ce matin de janvier près de la Thy. Le jour se levait à peine quand Jean-Marie Goyetta, 26 ans, est sorti de chez lui puis est tombé dans l’herbe, une balle de calibre 270 fragmentée dans les viscères. C’était le 8 janvier 2002 et Saint-Louis sentait déjà la poudre. La nuit précédente, de violents affrontements avaient éclaté, auxquels la victime n’aurait pas participé, selon ses proches. « Il venait de se lever et se préparait pour aller au travail », affirme Emmanuel Tein, grand chef du district de l’île Ouen.
Quand Jean-Marie Goyetta a rejoint les urgences, personne ne se doutait que le jeune employé d’Arbé serait le premier mort des affrontements débutés un mois plus tôt. Mais un mois après le tir, il rend l’âme. Sa compagne devient une veuve, ses trois enfants des orphelins. Et les violences repartent, alors que des négociations étaient lancées.
Six années ont passé. Les Wallisiens de l’Ave Maria ont brûlé leurs maisons, sont partis. Le temps du jugement est arrivé. À la barre, ce matin, la foule verra se dresser Laurent Vili, 31 ans. Seul suspect inquiété dans cette affaire, son nom est apparu dans le dossier huit mois après le début de l’enquête. De Nouméa, on avait appris qu’un rugbyman du Montpellier Racing Club s’était fait cueillir chez lui par la gendarmerie, sur ordre du juge calédonien en charge de l’instruction.
À Saint-Louis, ce solide fils de chef coutumier est connu. Il était parti en France à 20 ans pour s’inscrire à l’université de Montpellier. Ses qualités athlétiques et les 120 kg qu’il arborait à l’époque lui ont ouvert les portes du rugby professionnel.
Comme Jean-Marie Goyetta, Laurent Vili se posait en modèle pour les jeunes de sa communauté. Les anciens se souviennent aussi qu’il jouait au football dans l’équipe de la tribu… avec un certain Goyetta, Jean-Marie. Lui, le costaud, échangeait des passes avec Jean-Marie, l’artiste du ballon.

En septembre 2003, il commence à préparer son procès

Un mois avant les faits qui lui ont valu d’être inculpé, il était rentré de Métropole. La maison familiale avait brûlé, et il s’inquiétait pour les siens. Le matin du meurtre, des témoins affirment l’avoir aperçu.
Mais c’est une conversation téléphonique qui le trahira. Placé sur écoute, il confie à un proche qu’il pense être celui qui tenait l’arme du crime. Arrêté, il se rétracte devant les gendarmes mais passera un an en détention provisoire. À sa sortie, en septembre 2003, il commence à préparer son procès. Y compris dans la presse métropolitaine, à laquelle il livre sa version des faits.
« J’ai tiré deux fois sur quelqu’un qui avait une bandoulière, déclare-t-il dans l’hebdomadaire Midi Olympique, en 2004. La personne n’est pas tombée, je n’ai plus tiré après. ... J’ai cru que ça pouvait être moi, mais Jean-Marie ne portait pas de bandoulière. » Un comité de soutien s’est monté, entre Nouméa et la Métropole. Ses coéquipiers du rugby ont fait floquer un maillot « Justice pour Lolo », son surnom de vestiaire. Et son avocat, Me Gauer, parle d’un « Outreau sous les cocotiers » à propos du procès à venir, « avec la raison d’État en plus parce que les autorités savaient qu’il allait y avoir une attaque armée, et qu’elles n’ont rien fait (*)». Il met aussi en doute les causes réelles de la mort, un mois après son admission aux urgences. Côté enquête, on n’a retrouvé que des fragments de balle, mais l’arme du crime, jamais.
Il y a peu de chances que ces questions soient abordées dès aujourd’hui. La première journée de ce procès en trois actes devrait à peine suffire pour tirer les jurés au sort, lire l’ordonnance de mise en accusation et aborder la personnalité du témoin.

(*) Midi Libre, édition du 22 janvier 2008.

Marc Baltzer