Deux familles à la barre
Par Sophie M. le mardi 2 décembre 2008, 07:58 - Dans la presse - Lien permanent
Les Nouvelles Calédoniennes édition du 2 décembre 2008
Acquitté en avril dernier pour le meurtre de Jean-Marie Goyetta, Laurent Vili sera de nouveau jugé à partir de ce matin et jusqu’à vendredi devant la cour d’assises de Nouméa. Dans chaque camp, on espère que le procès permettra de tirer définitivement un trait sur les violences de l’Ave Maria de 2002, à défaut de les effacer complètement.
Ce week-end, à Saint-Louis, on a organisé une fois encore un loto, pour récolter des fonds. « Le 24 septembre dernier, au pied du Mwa Ka, on avait vendu des plantes ou des bougnas pour financer les frais d’avocat », explique Ghislaine, la sœur de Jean-Marie Goyetta. Du côté de Laurent Vili, un comité de soutien s’est mis en place depuis plusieurs mois déjà. Cet élan de solidarité est porté à bout de bras par la famille du rugby, à laquelle appartient le solide Wallisien, toujours pilier à l’AS Bédarrides, l’équipe d’un petit village du Vaucluse qui joue en troisième division. Trois internationaux français ont d’ailleurs vendu aux enchères leurs maillots.
Si, dans chaque camp, la mobilisation ne se dément pas, on appréhende évidemment de manière bien différente cette seconde épreuve judiciaire. Même si des deux côtés, on veut fermement croire à cette formule qui peut sembler incantatoire mais que l’on ne cesse de répéter : le destin commun.Dans la famille de Jean-Marie Goyetta, tombé sous une balle de gros calibre en janvier 2002, on se raccroche aux paroles de la procureure générale, qui avait fait appel de l’acquittement. « Elle a dit que le dossier contenait suffisamment de charges pour le condamner », assure Ghislaine, qui ne prononce pas ou très peu le nom de l’accusé. A Saint-Louis, tout le monde avait ressenti le verdict comme une véritable injustice. Passée l’incompréhension, les commentaires avaient rapidement glissé sur des considérations communautaires. « Quand des Kanaks sont poursuivis, la justice condamne. Pas quand ce sont des Wallisiens.»
Samedi, lorsque les responsables coutumiers ont accompagné Laurent Aguila — l’avocat qui défendra les parties civiles — près de la rivière où Jean-Marie Goyetta a été touché par le tir, ils ont ainsi reparlé de cette « teneur politique du dossier ». « Il faut que le conflit de l’Ave Maria s’arrête une bonne fois pour toutes. Il faut que cette affaire serve de référence à la communauté kanak », a dit l’un d’eux. « Et si ce n’est pas lui qui a tué Jean-Marie, il faut bien que ce soit quelqu’un », ajoute Ghislaine, dont la maman est décédée en janvier dernier. « Elle est partie sans savoir qui avait tué son fils », se désole-t-elle.
Chez les Vili, on fait aussi bloc derrière le « petit » dernier d’une famille de six enfants, lui qui parle de sa jeunesse « heureuse et joyeuse » à la tribu de Saint-Louis. « C’était les meilleurs moments de ma vie, le bonheur », raconte Laurent Vili, qui se souvient des trois titres de suite remportés par l’équipe de la tribu, lorsqu’il en était le gardien de but, d’un tour de Calédonie avec ses coéquipiers kanak, d’une halte à Tiendanite, « sur la tombe de Jean-Marie ». Et puis, comme ses frères et sœurs, du bonheur qui s’écroule au moment des violences. « Mais ce conflit entre deux communautés, hors de Nouméa, ça n’intéressait personne, déplore Marianne, l’une des sœurs de Laurent. Que l’Etat ne soit pas intervenu pour protéger la simple liberté d’aller et venir, cela a remis en question beaucoup de nos convictions. » Pour l’acquitté Vili, le répit a été de courte durée, avant l’annonce de l’appel. « C’est devenu dur d’apprécier les moments simples de la vie depuis, parce que j’ai toujours cette épée de Damoclès sur la tête, confie-t-il. J’aimerais qu’on sorte de ce procès sans avoir de question à me poser. Pour pouvoir recommencer à vivre. » Sa famille, en proie aux doutes, a parfois vécu des moments difficiles. Laurent aussi. « Cette affaire a détruit mon couple. J’ai perdu la femme de ma vie ». Il n’en dira pas plus.
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