Ci-dessous la réponse de Ligue des Droits de l'Homme et du citoyen de Nouvelle-Calédonie au comité de soutien.

Ligue des Droits de l'Homme et du citoyen de Nouvelle-Calédonie
BP 8298, 98807 NOUMEA - Tél/Fax (687) 24 12 86

Nouméa, le 16 mai 2003
au Comité de Soutien à Laurent VILI

Suite à votre lettre nous demandant notre position concernant la situation de Laurent VILI, nous vous rappelons d'abord que la LDH-NC a été sensibilisée très tôt aux tragiques évènements de Saint-Louis : dès les premiers coups de feu.

Avant qu'il n'y ait eu aucun mort, la Ligue s'est rendue début janvier 2002 en délégation à plusieurs reprises dans chaque communauté et même dans leurs sous-groupes. Elle a mis en garde les uns et les autres contre l'usage inconsidéré des armes à feu. Elle a publié des communiqués et elle a entrepris des démarches auprès des autorités en leur soulignant la gravité de leur attentisme à restaurer l'autorité de l'Etat.

Concernant votre demande de soutien à Laurent Vili, la LDH-NC pense qu'il faut considérer à la fois la situation de l'intéressé et celle de son environnement :

- pour Laurent, nous vous rappelons qu'il ne peut être condamné sans preuve. Nous faisons encore confiance aux institutions de la République et au fonctionnement de sa justice, la justice de tous les citoyens, pour qu'il en soit ainsi.
- pour Saint-Louis, nous tenons à participer à l'analyse des évènements, car comme l'a dit Elie Wiesel," tout peuple qui ne connaît pas son histoire est condamné à la revivre." Il nous apparaît important de cerner notre vérité collective pour que puisse avancer sereinement une intégration progressive et vraie des différentes communautés de ce pays.

L'assemblage de ces communautés ne s'est pas établi sur un mode pacifique et naturel mais sur un mode violent et organisé, comme il est reconnu internationalement que cela se passe dans une colonie qui a reçu, bon gré mal gré, des vagues successives de transportés et d'immigrés de nombreuses origines.

Il est commun en effet de dire que dans les systèmes coloniaux, il a toujours été pratiqué une orchestration soigneuse des rivalités communautaires permettant l'organisation d'un pouvoir à moindre frais.

Cependant, dans les dernières années, les gouvernements de la République, de gauche comme de droite, ont su établir un contrat entre les différentes communautés, où la sagesse l'emportait sur la force : les accords de Matignon puis de Nouméa prétendent établir un destin commun dans le respect de chacun.

Cette démarche peut manifestement contrarier ceux qui ont toujours eu intérêt à maintenir divisées lesdites communautés.

En reprenant l'histoire récente de Saint-Louis, il est facile de constater que de chaque côté de la rivière Thy, c'est la misère pleine et entière avec absence d'assainissement, d'eau courante, d'électricité et avec un habitat insalubre dans un désert d'encadrement social.

En fait, voilà une population marginalisée aux portes d'une des villes les plus riches du Pacifique, où les devoirs et les droits n'ont aucune réalité concrète. Peu à peu la survie au jour le jour a pris le pas sur les règles citoyennes d'un pays appartenant pourtant au groupe des plus avancés du monde. Pourquoi ?

Et c'est dans ce contexte anachronique que vont survenir des troubles ressemblan en tout point à une guerre civile et qui, transposés en Europe, auraient suscité une autre prise en considération. Comment en est on arrivé là ?

Tout d'abord n'a-t-on pas fourni à certains, d'un seul côté de la rivière, des avantages en matière de viabilisation et d'organisation d'un lotissement ? On trouvera des raisons pour le justifier mais aucune ne se situe dans une vision globale de construction et d'harmonie des communautés.

Les responsabilités inscrites entre passivité et cupidité sont certainement bien partagées, mais, devant les dégâts et les morts, les excuses sont bien faibles.

Il semble bien, lors des entretiens que nous avons eus en direct, que cela a exacerbé les jalousies et annulé les efforts de vie en commun (jusqu'à dénouer des mariages mixtes).

Dans cette poudrière de rancoeur installée au royaume de la misère il suffira d'une étincelle pour allumer la guerre fratricide. Cette étincelle sera une querelle entre parents et enfants des deux communautés, à la sortie d'une école où, par suite de provocations,la force du muscle sèmera son désordre. Ces altercations se poursuivront dans ce contexte désastreux par une guerre civile qui se déroulera dans la grande peur des habitants de Nouméa et sur un mode presque "normal" à Saint-Louis ; il est à cet effet constant dans les médias locaux de rapporter ces anomalies gravissimes comme de simples faits divers gênants surtout parce que répétitifs.

Il y aura chez certains responsables une logique de chef de guerre, il y aura des déclarations provocantes attisant les oppositions : à qui profite le crime ? Interrogation renforcée lorsqu'on constate de quelle façon tout reviendra au calme une fois les élections passées alors que pratiquement aucun problème n'est résolu.

La LDH-NC témoigne ici une nouvelle fois des anomalies graves d'un système où les droits essentiels du citoyen sont "oubliés", bafoués, voir niés chroniquement.

Est-il utile de rappeler que dans la période de transition politique, culturelle et sociale, que traverse notre archipel ces conflits - sur la spontanéité desquels on peut s'interroger - constituent des obstacles difficiles à franchir ?

Pour la LDH-NC les devoirs des autorités dites responsables n'ont pas été remplis : voilà notre constat sur les causes et les origines des faits qui ont ammené un jeune homme en prison.

Nous souhaitons que la justice de notre pays examine l'ensemble de ces données et que les jugements et décisions qui s'en suivront aient en priorité le souci de préserver l'ensemble des populations pour un devenir commun harmonieux.

En espérant avoir répondu à vos préoccupations, nous vous prions de bien vouloir accepter nos salutations citoyennes.