Mardi 26 Août 2003


ACTUALITE


Nouvelle-Calédonie / Faits Divers


LE FAIT DU JOUR
Les gendarmes entrent en force à Saint-Louis

Plus de 250 gendarmes ont investi Saint-Louis, hier à l’aube, pour interpeller les fauteurs des exactions commises en juin dernier. Quatre personnes sont en garde à vue, huit armes ont été saisies.

Du jamais vu depuis le début du conflit de Saint-Louis. Hier à l’aube, les gendarmes ont déployé les grands moyens pour investir la tribu secouée par un conflit ethnique depuis 18 mois, verrouiller tous ses accès et arrêter un certain nombre de personnes soupçonnées par la justice d’avoir participé à des exactions.
Dix personnes ont été interpellées, quatre d’entre elles ont été placées en garde à vue, et huit armes à feu ont été saisies lors de la fouille de plusieurs maisons.
Cette opération judiciaire, menée sur commission rogatoire d’un juge d’instruction, a fortement déplu aux responsables coutumiers de la tribu qui affirmaient hier « ne plus tenir les jeunes et craindre des incidents au cours de la nuit ». Des barrages ont d’ailleurs été dressés par les Mélanésiens pour empêcher les 30 familles wallisiennes encore présentes sur place d’entrer ou de sortir.

Une douzaine de cibles

Il est six heures du matin quand un effectif impressionnant de 250 gendarmes prend position aux alentours de la tribu. Deux escadrons de Mobiles, au moins sept blindés légers, une vingtaine de camions et fourgons, la brigade de recherches et les brigades territoriales de Pont-des-Français et Plum ont été mobilisés pour l’occasion. Tous les accès à la tribu sont verrouillés par des blindés quand les militaires investissent le village. Selon nos informations, ils ont une douzaine de cibles comme objectif: des personnes recherchées car suspectées d’avoir participé à telle ou telle exaction commise au cours des 20 derniers mois. Des portes sont ouvertes, parfois enfoncées, des perquisitions sont opérées dans plusieurs maisons et une dizaine d’individus sont interpellés. Mais au final, seuls quatre d’entre eux sont des clients sérieux. Les six autres sont rapidement relâchés. Certaines cibles ne sont pas là, ou bien ont réussi à disparaître dans la nature avant l’arrivée des forces de l’ordre. Car on ne déplace pas un tel convoi sans que cela ne se remarque. Et Saint-Louis est une zone noyée dans la verdure d’où un homme à pied peut s’échapper.

Poches de résistance

Inévitablement, l’opération a rencontré çà et là des poches de résistance. Des femmes et des enfants ont tenté de faire obstacle à l’avancée des forces de l’ordre. Des groupes de jeunes Mélanésiens ont installé des barricades sur certaines voies d’accès, et y ont mis le feu. Une voiture de presse a essuyé un parpaing. Les gendarmes ont tiré quelques grenades lacrymogènes pour vaincre les oppositions les plus fortes.
Hier soir, la gendarmerie a laissé un important dispositif aux abords de la tribu, afin de pouvoir réagir en temps réel à une tentative de représailles sur la route principale qui dessert le Mont-Dore.
Les personnes arrêtées sont soupçonnées d’avoir pris part aux exactions de juin dernier au cours desquelles trois Wallisiens ont été atteints par balle. Une religieuse et un gendarme ont également été blessés lors d’une embuscade qui s’est soldée par la destruction d’un 4x4 blindé.

Une quinzaine de suspects déjà en examen

Incendies, destructions, coups et blessures, homicide involontaire, meurtres, tentatives d’assassinat, environ quinze personnes ont été mises en examen dans le cadre des enquêtes judiciaires sur les différents crimes et délits commis à Saint-Louis.
Tous les principaux protagonistes sont connus des enquêteurs. Ce qui ne veut pas dire que des charges suffisantes pourront être réunies contre chacun d’entre eux pour entraîner leur condamnation. L’impossibilité matérielle d’opérer sur le terrain et d’y collecter des indices pendant plusieurs mois a compromis plusieurs dossiers.
Il semble en fait que la seule affaire criminelle pour laquelle la justice ne dispose pas encore de piste sérieuse soit la tentative d’assassinat contre le colonel Garrido, très grièvement blessé d’une balle dans le ventre en avril 2002.

Les coutumiers crient à la provocation

C’est la première fois que la gendarmerie déploie des moyens aussi impressionnants pour entrer dans Saint-Louis dans le cadre des enquêtes judiciaires en cours sur les différents crimes et délits commis au cours de 20 mois de conflit. Les précédentes interventions de grande envergure ont toujours été motivées par le rétablissement de l’ordre public.
Autant dire que les responsables coutumiers mélanésiens n’ont pas apprécié. « Nous nous étions engagés à observer une trêve jusqu’au départ de toutes les familles wallisiennes. Nous attendions de la justice qu’elle fasse de même » a affirmé Jean-Charles Némoadjou. « Nous savons bien qu’après le règlement du conflit, il faudra que certains rendent des comptes à la justice. Nous ne sommes pas naïfs. Mais là, franchement, le moment est mal choisi. En plus le jour de la Saint-Louis. Il fallait attendre que tout le monde parte, adopter une stratégie plus douce. Beaucoup prennent ça pour une provocation et désormais, nous ne contrôlons plus les jeunes. »

Les chefs prévenus

Mais manifestement, l’autorité judiciaire et l’état-major de la gendarmerie avaient leurs raisons pour mener cette opération hier. « La justice n’a jamais conclu, même verbalement, aucune sorte de trêve avec quiconque » a rappelé pour sa part Robert Blaser, procureur de la République. « Les différentes enquêtes en cours progressent et nécessitent des actes sur le terrain. »
« Nous avons averti les grands chefs concernés avant de mener l’opération » a déclaré le lieutenant- colonel Michel Gotab. « Ils nous ont donné verbalement leur accord de principe ».

Les dernières familles wallisiennes bloquées à l’Ave Maria

En signe de représailles à l’intervention des gendarmes et à l’arrestation de quatre des leurs, des habitants de la tribu de Saint-Louis ont dressé, hier après-midi, un barrage qui coupe l’unique route d’accès au village wallisien de l’Ave Maria. La trentaine de familles qui vit encore là-bas (elles étaient 150 il y a deux ans) sont désormais empêchées d’entrer ou sortir.
Les seuls déplacements qu’elles peuvent envisager ne pourront se faire qu’à l’intérieur des blindés de la gendarmerie. Le but de l’opération est bien sûr de précipiter le départ des dernières familles wallisiennes.

Philippe Frédière
 



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Des blindés ont bloqué plusieurs heures l’accès à la route principale de Saint-Louis, celle qui conduit à la mission. Photos : Marcel Le Pêchoux


 
Les victimes directes de Saint-Louis

En vingt mois, le conflit de Saint-Louis a fait trois morts par armes à feu, près d’une douzaine de blessés par balles, plusieurs blessés par jets de pierre, quelques accidents de la circulation provoqués par le dépôt de blocs rocheux ou de bouteilles de gaz sur la chaussée, et des dizaines de blessés légers.

Les tués

Jean-Marie Goyeta, un jeune Mélanésien blessé au ventre par une balle à fragmentation le 8 janvier 2001. Il a succombé quelques semaines plus tard au CHT Gaston-Bourret. L’enquête a abouti quelques mois plus tard à l’arrestation de Laurent Vili, actuellement en détention préventive à la prison de Fresnes près de Paris.

Fabien Kapetha, un jeune Mélanésien de 22 ans, tué accidentellement au mois d’avril 2002 par un de ses amis qui jouait devant lui avec un revolver 22 LR volé. L’auteur de l’homicide involontaire, Livio Gnibékan a été interpellé et condamné à un an de prison pour cet acte. Mais il est également mis en cause dans la tentative d’assassinat perpétrée fin janvier 2001 contre le Père Glantenet, aumônier militaire.

Petelo Motuku, un jeune Futunien tué le 10 juin 2002, à bord de sa voiture, par un tireur embusqué au bord de la route de la Mission de Saint-Louis. Les positions pacifistes adoptées par ses parents et sa famille lors des obsèques ont largement contribué à l’apaisement des esprits au fil des mois suivants. En revanche aucun suspect n’a été interpellé à ce jour.


Les blessés par balle

Un sous-officier du camp militaire de Plum, atteint par une balle sur la route lors des toutes premières échauffourées fin 2001 .
Pierre Sam, un jeune habitant du Mont-Dore, atteint par une balle le 8 décembre 2001 alors qu’il marchait le long de la route fermée à la circulation par les barrages. Il a eu le col du fémur fracturé par le projectile et a dû subir de longs mois de rééducation.

Le Père Glantenet, aumônier militaire, atteint au bras fin janvier 2002 par une balle 22 LR. La personne soupçonnée d’être l’auteur du tir a été arrêtée en avril.

Le grand chef Moyatea est ressorti miraculeusement indemne de sa maison criblée de balles de gros calibre lors d’un attentat en janvier 2002. Un règlement de comptes entre clans mélanésiens rivaux.

Le lieutenant colonel Garrido, patron des gendarmes mobiles, touché par une balle à fragmentation dans le bas du dos lors d’opérations de rétablissement de l’ordre, le 2 avril 2002. L’officier supérieur est resté plusieurs jours entre la vie et la mort. Il a fini par se remettre mais conservera de lourdes séquelles. L’auteur du tir n’a pas été arrêté.

Un habitant wallisien de l’Ave-Maria, frôlé à la tempe par une balle de grande chasse alors qu’il se trouvait à bord de sa voiture, en mai 2002. L’homme s’en est miraculeusement sorti avec une simple estafilade.

Trois jeunes Wallisiens, ou compagnons de Wallisiennes, blessés lors d’une série d’embuscades les 25 et 26 juin 2003. David Tuulaki avait été atteint d’une balle au poumon et transporté dans un état grave au CHT. Eric Gervi et Magitoga Siuuli avaient également été touchés par des coups de fusil. Lors de ces mêmes affrontements, un gendarme et une religieuse avaient été blessés lors de l’accident d’une Land Rover prise dans un guet-apens.


 




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