Nouvelle-Calédonie / Faits Divers

LE FAIT DU JOUR Les gendarmes
entrent en force à Saint-Louis
Plus de 250 gendarmes ont investi Saint-Louis,
hier à l’aube, pour interpeller les fauteurs des exactions commises
en juin dernier. Quatre personnes sont en garde à vue, huit armes
ont été saisies.
Du jamais vu depuis le début du conflit de Saint-Louis. Hier à
l’aube, les gendarmes ont déployé les grands moyens pour investir la
tribu secouée par un conflit ethnique depuis 18 mois, verrouiller
tous ses accès et arrêter un certain nombre de personnes soupçonnées
par la justice d’avoir participé à des exactions. Dix personnes
ont été interpellées, quatre d’entre elles ont été placées en garde
à vue, et huit armes à feu ont été saisies lors de la fouille de
plusieurs maisons. Cette opération judiciaire, menée sur
commission rogatoire d’un juge d’instruction, a fortement déplu aux
responsables coutumiers de la tribu qui affirmaient hier « ne plus
tenir les jeunes et craindre des incidents au cours de la nuit ».
Des barrages ont d’ailleurs été dressés par les Mélanésiens pour
empêcher les 30 familles wallisiennes encore présentes sur place
d’entrer ou de sortir.
Une douzaine de
cibles
Il est six heures du matin quand un effectif
impressionnant de 250 gendarmes prend position aux alentours de la
tribu. Deux escadrons de Mobiles, au moins sept blindés légers, une
vingtaine de camions et fourgons, la brigade de recherches et les
brigades territoriales de Pont-des-Français et Plum ont été
mobilisés pour l’occasion. Tous les accès à la tribu sont
verrouillés par des blindés quand les militaires investissent le
village. Selon nos informations, ils ont une douzaine de cibles
comme objectif: des personnes recherchées car suspectées d’avoir
participé à telle ou telle exaction commise au cours des 20 derniers
mois. Des portes sont ouvertes, parfois enfoncées, des perquisitions
sont opérées dans plusieurs maisons et une dizaine d’individus sont
interpellés. Mais au final, seuls quatre d’entre eux sont des
clients sérieux. Les six autres sont rapidement relâchés. Certaines
cibles ne sont pas là, ou bien ont réussi à disparaître dans la
nature avant l’arrivée des forces de l’ordre. Car on ne déplace pas
un tel convoi sans que cela ne se remarque. Et Saint-Louis est une
zone noyée dans la verdure d’où un homme à pied peut
s’échapper.
Poches de résistance
Inévitablement, l’opération a rencontré çà et là des poches
de résistance. Des femmes et des enfants ont tenté de faire obstacle
à l’avancée des forces de l’ordre. Des groupes de jeunes Mélanésiens
ont installé des barricades sur certaines voies d’accès, et y ont
mis le feu. Une voiture de presse a essuyé un parpaing. Les
gendarmes ont tiré quelques grenades lacrymogènes pour vaincre les
oppositions les plus fortes. Hier soir, la gendarmerie a laissé
un important dispositif aux abords de la tribu, afin de pouvoir
réagir en temps réel à une tentative de représailles sur la route
principale qui dessert le Mont-Dore. Les personnes arrêtées sont
soupçonnées d’avoir pris part aux exactions de juin dernier au cours
desquelles trois Wallisiens ont été atteints par balle. Une
religieuse et un gendarme ont également été blessés lors d’une
embuscade qui s’est soldée par la destruction d’un 4x4
blindé.
Une quinzaine de suspects déjà en
examen
Incendies, destructions, coups et blessures,
homicide involontaire, meurtres, tentatives d’assassinat, environ
quinze personnes ont été mises en examen dans le cadre des enquêtes
judiciaires sur les différents crimes et délits commis à
Saint-Louis. Tous les principaux protagonistes sont connus des
enquêteurs. Ce qui ne veut pas dire que des charges suffisantes
pourront être réunies contre chacun d’entre eux pour entraîner leur
condamnation. L’impossibilité matérielle d’opérer sur le terrain et
d’y collecter des indices pendant plusieurs mois a compromis
plusieurs dossiers. Il semble en fait que la seule affaire
criminelle pour laquelle la justice ne dispose pas encore de piste
sérieuse soit la tentative d’assassinat contre le colonel Garrido,
très grièvement blessé d’une balle dans le ventre en avril
2002.
Les coutumiers crient à la
provocation
C’est la première fois que la gendarmerie
déploie des moyens aussi impressionnants pour entrer dans
Saint-Louis dans le cadre des enquêtes judiciaires en cours sur les
différents crimes et délits commis au cours de 20 mois de conflit.
Les précédentes interventions de grande envergure ont toujours été
motivées par le rétablissement de l’ordre public. Autant dire que
les responsables coutumiers mélanésiens n’ont pas apprécié. « Nous
nous étions engagés à observer une trêve jusqu’au départ de toutes
les familles wallisiennes. Nous attendions de la justice qu’elle
fasse de même » a affirmé Jean-Charles Némoadjou. « Nous savons bien
qu’après le règlement du conflit, il faudra que certains rendent des
comptes à la justice. Nous ne sommes pas naïfs. Mais là,
franchement, le moment est mal choisi. En plus le jour de la
Saint-Louis. Il fallait attendre que tout le monde parte, adopter
une stratégie plus douce. Beaucoup prennent ça pour une provocation
et désormais, nous ne contrôlons plus les jeunes. »
Les chefs prévenus
Mais manifestement,
l’autorité judiciaire et l’état-major de la gendarmerie avaient
leurs raisons pour mener cette opération hier. « La justice n’a
jamais conclu, même verbalement, aucune sorte de trêve avec
quiconque » a rappelé pour sa part Robert Blaser, procureur de la
République. « Les différentes enquêtes en cours progressent et
nécessitent des actes sur le terrain. » « Nous avons averti les
grands chefs concernés avant de mener l’opération » a déclaré le
lieutenant- colonel Michel Gotab. « Ils nous ont donné verbalement
leur accord de principe ».
Les dernières
familles wallisiennes bloquées à l’Ave Maria
En signe
de représailles à l’intervention des gendarmes et à l’arrestation de
quatre des leurs, des habitants de la tribu de Saint-Louis ont
dressé, hier après-midi, un barrage qui coupe l’unique route d’accès
au village wallisien de l’Ave Maria. La trentaine de familles qui
vit encore là-bas (elles étaient 150 il y a deux ans) sont désormais
empêchées d’entrer ou sortir. Les seuls déplacements qu’elles
peuvent envisager ne pourront se faire qu’à l’intérieur des blindés
de la gendarmerie. Le but de l’opération est bien sûr de précipiter
le départ des dernières familles wallisiennes.
Philippe Frédière
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 Des blindés ont bloqué plusieurs heures
l’accès à la route principale de Saint-Louis, celle qui conduit à la
mission. Photos : Marcel Le Pêchoux
Les victimes
directes de Saint-Louis
En vingt mois, le conflit de Saint-Louis a fait trois
morts par armes à feu, près d’une douzaine de blessés
par balles, plusieurs blessés par jets de pierre,
quelques accidents de la circulation provoqués par le
dépôt de blocs rocheux ou de bouteilles de gaz sur la
chaussée, et des dizaines de blessés légers.
Les
tués
Jean-Marie Goyeta, un jeune Mélanésien
blessé au ventre par une balle à fragmentation le 8
janvier 2001. Il a succombé quelques semaines plus tard
au CHT Gaston-Bourret. L’enquête a abouti quelques mois
plus tard à l’arrestation de Laurent Vili, actuellement
en détention préventive à la prison de Fresnes près de
Paris.
Fabien Kapetha, un jeune Mélanésien de 22
ans, tué accidentellement au mois d’avril 2002 par un de
ses amis qui jouait devant lui avec un revolver 22 LR
volé. L’auteur de l’homicide involontaire, Livio
Gnibékan a été interpellé et condamné à un an de prison
pour cet acte. Mais il est également mis en cause dans
la tentative d’assassinat perpétrée fin janvier 2001
contre le Père Glantenet, aumônier
militaire.
Petelo Motuku, un jeune Futunien tué
le 10 juin 2002, à bord de sa voiture, par un tireur
embusqué au bord de la route de la Mission de
Saint-Louis. Les positions pacifistes adoptées par ses
parents et sa famille lors des obsèques ont largement
contribué à l’apaisement des esprits au fil des mois
suivants. En revanche aucun suspect n’a été interpellé à
ce jour.
Les blessés par balle
Un
sous-officier du camp militaire de Plum, atteint par une
balle sur la route lors des toutes premières
échauffourées fin 2001 . Pierre Sam, un jeune
habitant du Mont-Dore, atteint par une balle le 8
décembre 2001 alors qu’il marchait le long de la route
fermée à la circulation par les barrages. Il a eu le col
du fémur fracturé par le projectile et a dû subir de
longs mois de rééducation.
Le Père Glantenet,
aumônier militaire, atteint au bras fin janvier 2002 par
une balle 22 LR. La personne soupçonnée d’être l’auteur
du tir a été arrêtée en avril.
Le grand chef
Moyatea est ressorti miraculeusement indemne de sa
maison criblée de balles de gros calibre lors d’un
attentat en janvier 2002. Un règlement de comptes entre
clans mélanésiens rivaux.
Le lieutenant colonel
Garrido, patron des gendarmes mobiles, touché par une
balle à fragmentation dans le bas du dos lors
d’opérations de rétablissement de l’ordre, le 2 avril
2002. L’officier supérieur est resté plusieurs jours
entre la vie et la mort. Il a fini par se remettre mais
conservera de lourdes séquelles. L’auteur du tir n’a pas
été arrêté.
Un habitant wallisien de l’Ave-Maria,
frôlé à la tempe par une balle de grande chasse alors
qu’il se trouvait à bord de sa voiture, en mai 2002.
L’homme s’en est miraculeusement sorti avec une simple
estafilade.
Trois jeunes Wallisiens, ou
compagnons de Wallisiennes, blessés lors d’une série
d’embuscades les 25 et 26 juin 2003. David Tuulaki avait
été atteint d’une balle au poumon et transporté dans un
état grave au CHT. Eric Gervi et Magitoga Siuuli avaient
également été touchés par des coups de fusil. Lors de
ces mêmes affrontements, un gendarme et une religieuse
avaient été blessés lors de l’accident d’une Land Rover
prise dans un
guet-apens.
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